Seun, de son nom complet Oluseun Anikulapo Kuti, arrivera sur scène quand tous les 17 autres membres de son clan y seront. Impossible se dissocier l’authenticité du nom de l’artiste, le nom revisiter de l’orchestre ou du collectif ainsi que le nom du CD explosif, dans la pure tradition héritée de Fela Ransome Kuti, père mythique de cette famille de musique Funk, puissante expression de la révolte africaine face aux corruptions, face aux compromis et contre toutes les aliénations congénitales qui lient certains régimes africains aux éternels capitalistes et aux impérialistes de tout crin, sous toutes les latitudes.

Il est indispensable de noter qu’en lever de rideau, le Groupe H’Sao nous a offert un concert d’environ une heure, de plaisirs, de voix nobles et harmonieuses. Un concert de musique nuancée et léchée support à des voix chorégraphiées en teintes traditionnelles mixées aux tonalités du « spoke word » et du slam urbain.

Pour revenir au show de Seun Kuti, les cuivres font l’intro, un à un les musiciens du clan Kuti atterrissent sur la scène du Métropolis. Musique mobile, musique croissante et d’une force qui martèle toutes les notes de la contestation et des luttes pour la justice. Musique qui s’enrichit, de percussions équatoriales, musique qui s’élève grâce aux arpèges des guitares solos et des basses rythmant les discours mélodiques comme autant de messages aux publics du monde.

Ce soir, Montréal danse dans la foulée de cette tradition du clan Kuti : la famille Kuti, originaire de la ville d’Abeokuta (comme celle du général dictateur Obasanjo), de même que celle du prix Nobel de littérature Wole Soyinka, qui est l’oncle et l’ami de Seun. Faisons un peu d’histoire. Bien avant de se refaire une virginité par les urnes, le Général Obasanjo, devenu président du Nigeria à l’issue d’un putsch en 1977, organisa aussitôt l’assaut meurtrier, par plus de mille hommes armés, contre la demeure de Fela, que ce dernier avait proclamé « République indépendante de Kalakuta », et où aujourd’hui encore vivent Seun Kuti et les musiciens de l’orchestre Egypt. 80.

La musique qui nous fait vibrer dans cette soirée chaude et sensuelle, est nourrie de tant de faits et de légende : la grand-mère de Seun, Funmilayo, était la plus célèbre militante des droits de l’homme et du féminisme au Nigeria. Elle est morte des suites de sa défenestration par les troupes d’Obasanjo.

La chanson satirique qui donne son titre à l’album, « Many Things »

(« Nous avons fait beaucoup de choses ») démarre sur un extrait d’un discours enregistré d’Obasanjo. Elle résume bien le bilan des 30 ans de son règne en pointillé : « ils ont construit des ponts magnifiques, mais en dessous les gens n’ont toujours pas d’autre solution que de boire l’eau dans laquelle ils viennent de pisser ». De tels propos disent tout le désarroi ainsi que la nécessité de pouvoirs publics au service des peuples et la tragique absence d’une société civile authentique dans un système social démocratique. Seun, à vingt-cinq ans, est donc le digne héritier du militantisme irréductible de Fela Kuti. Il a d’ailleurs repris à son compte le deuxième prénom yoruba que s’était attribué son papa : Anikulapo («j’ai la mort dans mon carquois »).

Prenez et écoutez le disque « Many Things », une transe vous gagne, transe mentale et transe viscérale, transe des pulsions harmoniques et des cuivres, tambours et djembés qui enracinent une mélodie réaliste et efficace. Les chansons de Seun Kuti sont autant de flèches qui ne manqueront jamais leurs cibles : corrompus, corrupteurs, oppresseurs. À l’exception de l’érotique « Fire Dance », tous les titres de ce CD sont des pamphlets ravageurs contre la corruption et l’incurie des dirigeants africains : « Think Africa », «Many Things », « Na Oil »,

« African Problems ».

Seun participe aux côtés de Youssou N’Dour à un grand projet de lutte contre la malaria, et « Mosquito Song » explique que les gouvernements, par leur négligence en matière d’hygiène et en ignorant les besoins essentiels en soins de santé et de services sociaux des populations, sont responsables de ce fléau qui tue plus que le sida, la malaria. Au style de chant énergique et tonitruant de Fela, Seun ajoute une rage rythmique héritée du rap : il cite d’ailleurs parmi ses héros Chuck D, Dr Dre ou Eminem.

La magie de l’ « afrobeat » est en marche, cette machine délirante et implacable qui nous emporte sans qu’il soit possible d’y échapper ne fut-ce qu’une seconde. La section rythmique est vraiment saisissante : le bassiste Kayode Kuti (aucune parenté avec Seun) est l’une des surprises de ce CD ; quant au batteur, Ajayi Adebiyi, il n’a rien à envier aux plus grands du jazz contemporain. À l’instar d’un Al Foster ou d’un Paco Séry. Les deux guitaristes aux sons très contrastés – David Obanyedo et Alade Oluwagbemiga – tressent des riffs envoûtants qui servent de trame à l’ensemble. Les deux trompettistes – Emmanuel Kunnuji et Olugbade Okunade – sont d’excellents solistes (« Many Things », « Mosquito Song ».

Ainsi, dix ans après la mort de Fela, l’orchestre dont il était si fier lui survit, et il ne fait aucun doute qu’il serait heureux de ce qu’en a fait son fils, et du chanteur qu’il est devenu.

Avec Seun, Egypt 80 est plus explosif que jamais avec ses combinaisons de cuivres, de claviers, de percussions, de guitares et de chœurs. Nous sommes parfois sous l’influence de la Rumba des années post deuxième guerre mondiale, nous vibrons aux accents du High Life des années soixante métissé de djou-djou Music à la King Sonny Adé. Même s’il reprend des thèmes de son père dont certains inédits, n’ont jamais été enregistrés de son vivant, Seun Kuti innove avec ses propres compositions d’afro beat percutant additionné de hip hop et de rap. Ces dernières années, Seun qui a parfait ses connaissances musicales à Liverpool, a tourné un peu partout dans le monde.

C’est arrivé : Dimanche 13 juillet 2008 – 20H00 dans la salle du Métropolis

59, rue Sainte-Catherine est – Festival International Nuits d’Afrique de Montréal. Série des Grands événements