Lily Tasso est une témoin de notre temps, mais surtout une pionnière au véritable sens du terme. Première souvent dans ses étapes de vie les plus significatives. Issue d’une famille d’origine libanaise, c’est au Caire qu’elle est née. Brillantes études, avec ses parents, elle fait des séjours en Inde et dans plusieurs pays d’Europe et enfin, en 1954, le Canada, le Québec, l’établissement à Montréal. Jeune intellectuelle formée aux meilleures écoles, pétrie de culture profonde héritée de traditions plusieurs fois millénaires, Lily Tasso, avec sa curiosité remarquable, son intérêt profond pour l’âme humaine, son regard intelligent et interrogateur, ses méfiances légendaires et critiques en matière d’éthique ainsi que son sens inné de la rigueur, est née pour être journaliste.

Au début des années soixante, deux ans au Nouveau Journal et tout de suite dès 1963 elle est engagée au quotidien La Presse. Fidèle dans sa pensée comme dans son action aux valeurs du respect, de la liberté, de la dignité, de la responsabilité et de l’égalité, Lily Tasso déploie à la Presse ses talents et réalise une œuvre hors-pair au cours de plus de trente années de reportages et de productions journalistiques. Toutes les situations, presque tous les sujets Lily Tasso les aborde et les traite sous un angle où les dimensions sociales et les aspects les plus humains sont valorisés.

Les milliers d’articles écrits par Lily Tasso pourraient faire l’objet d’une étude ou servir de sujet de thèse. Elle a couvert l’actualité, dépassée l’immédiateté pour constamment mettre en relief et présenter une idée maîtresse : l’avancement de la situation des femmes et les droits des minorités. Deux pôles essentiels à la compréhension de l’œuvre journalistique de Lily Tasso. Elle a donc, dans cette même perspective, été la première à créer des rubriques et à donner la parole aux marginalisés, aux exclus, aux handicapés.

Première. Lily Tasso a donné au journal La Presse une ouverture sur le réel total au noyau de la diversité de la ville de Montréal, première à valoriser le visage cosmopolite de la métropole. Première journaliste d’ici à tisser la fibre de l’interculturel, tissage et métissage, Lily Tasso l’a conjugué en rédigeant des pages hebdomadaires, en créant le premier calendrier interculturel illustré par des articles informatifs et des textes d’interviews sur presque toutes les communautés ethnoculturelles de Montréal. Présente dans le quotidien de la rue Saint-Jacques, de manière moderne et dense : photos en couleurs, informations essentielles sur les pays d’origine et, par dessus tout, Lily Tasso a innové en donnant la parole aux personnalités les plus représentatives des principales communautés, comme à celles qui créent des ponts, et à celles qui font des liens entre les composantes humaines de notre ville. À la fin des années 80 et au début des années 90, elle a systématisé cette approche au point de servir de modèle, même aux confrères anglophones, pourtant déjà largement accueillants, dans leurs médias, aux citoyennes et aux citoyens originaires d’ailleurs qui contribuent à la construction de notre société.

Secrétaire générale, puis présidente de l’Association internationale de la presse féminine et familiale (AIJPF), Lily Tasso est membre du Conseil de la langue française et du jury du prix de journalisme René Lévesque. Elle a eu l’occasion de recevoir quelques distinctions, toutes méritées : Prix Judith Jasmin en 1982, mention dans la section des communications pour le Prix du rapprochement interculturel en 1991, Ordre des francophones d’Amérique en 1992 et Femme de mérite de la Fondation du YWCA de Montréal en 1997.

Quand on la questionne sur sa motivation, Lily Tasso est directe : Ignoti nulla cupido. Cet aphorisme d’Ovide (on ne désire pas ce qu’on ne connaît pas), a souvent été ma devise tout au long de ma carrière. Il a orienté mon action et mes choix dans mes engagements professionnels. Faire connaître et aimer les “ autres ”, les inconnus, femmes et hommes de tout âge, d’ici ou venus d’ailleurs.

Regard franc et objectif sur son œuvre, Lily Tasso explique : Pour donner une voix à ceux et à celles qui n’en avaient pas, j’ai essayé de les écouter et de leur donner la parole dans mes reportages. Je pense que mes articles publiés au cours de 1981, année internationale des personnes handicapées, ont eu beaucoup d’écho. Par ailleurs, durant mes quelque dix dernières années à La Presse, de 1983 à 1992, je me suis penchée de manière très particulière sur l’intégration des communautés ethnoculturelles.

Comment voit-elle l’avenir des relations entre la majorité et les différentes communautés d’appartenance ? Lily Tasso propose, comme elle l’a toujours fait, pas de critique stérile, ce n’est pas son style, elle déclare : Il faut inlassablement poursuivre la lutte contre les préjugés et encore davantage, à cause des événements tout récents qui engendrent la méfiance. Initiatives originales, projets de toutes sortes émanant de nombreux organismes et soutenus par les autorités, pédagogie des médias, et surtout pédagogie innovatrice, persuasive et entraînante dans tous nos établissements d’enseignement. Dans le but de viser à amener dans notre société un pluralisme profond et non de surface.