C’est dans ce regard, celui qu’elle porte avec feu et tendresse qu’il est possible de trouver la question perpétuelle de la poétesse, maîtresse de la parole et chirurgienne du silence. Nadine Ltaif écrit dans Élégies du Levant (Noroît, 1995) Végétation luxuriante/ je suis et j’ai toujours été/ étrangère/ dans ce pays/ et ailleurs. Nulle part est mon origine/ je l’ai cherché dans les mythes. Je ne trouverai pas d’écho/ et personne ne m’offrira de miroir/ sauf ma mère/ d’où je dérive.

La brillante étudiante qui obtint une maîtrise ès Arts en études françaises de l’Université de Montréal à 25 ans a quatre œuvres de poésie qui jalonnent les quatorze dernières années : Les métamorphoses d’Ishtar, Guernica, Montréal, 1987, 70p. Entre les fleuves, Guernica, Montréal, 1991, 51p (finaliste pour le prix Nelligan 1991). Le livre des dunes, Le Noroît, 1999, 75p. Nadine Ltaif s’exprime depuis treize années dans l’univers de l’enseignement du français, elle traduit aussi des textes d’auteurs de l’arabe vers le français, fait de la recherche et possède à son palmarès la réalisation d’un vidéo pour l’ONF “ L’égalité entre les hommes et les femmes est-elle acquise? ” un document de 37 minutes. Elle démocratise cette forme d’expression parfois secrète et souvent mystérieuse, qu’est la poésie, pour le plus grand nombre. Tables rondes, colloques, participations à des lectures publiques, mais aussi des entrevues à la radio et surtout, comme une vocation active de vulgarisation, de mise en rythmes et d’interprétation plurielle, des poèmes, des articles, des nouvelles qui permettent de mettre la littérature à la portée des autres.

Nadine Ltaif, qui siège sur des jury du Conseil des arts du Canada; situe l’acte d’écrire Je peux dire que pour moi l’écriture est un acte singulier qui n’est pas représentatif d’une communauté. La poétesse va plus loin, malgré sa sobriété légendaire, elle a le don suprême d’être précise dans le choix des mots car elle manie le Verbe avec la dextérité et l’incomparable économie que de rares virtuoses possèdent. En effet, lu dans Le livre des dunes six vers éloquents au point d’avoir l’écho du non dit : Cruel le silence des séparations/ car il n’y a pas de mots/ pour exprimer les silences. Elles allaient, ivres de leur présence/ aveuglées de lumière, funambules/ au-dessus de l’impossible.

Il y a un contrat de vie dont la teneur est profonde : Nous aspirons par contre à une meilleure compréhension des autres. C’est une fenêtre ouverte entre soi et le monde. Partager un espace, c’est aussi partager l’identité des autres cultures. Elle s’explique : Au Liban j’étais aussi chrétienne que musulmane, car mes meilleures copines l’étaient. Ici j’ai pu connaître la culture asiatique, la religion bouddhiste, la religion hindou et les cultures amérindiennes. Je partage ma vie avec un Québécois et pour mon fils je souhaite qu’il comprenne les notions de partage et d’ouverture.

Tout est langage dit l’auteure dans Élégies du Levant. Seule la générosité dans toute son ampleur ouvre des espaces non explorés dans l’univers intime et sur la courbe d’espérance du vécu de notre collectivité.

Nadine Ltaif aspire à : Quand je pourrai écrire un chant/ une voix seule/ telle l’unique/ l’éternelle voix d’alto/ dans la Passion selon saint Mathieu/ s’élèvera/ s’ouvrira un passage/ dans la souffrance. De la prison de la souffrance/ elle sortira/ et réussira/ par son exercice/ à trouver le timbre de la liberté. Présent, l’infini bénéfice d’une présence sans cesse nouvelle et tonique : Je souhaite que le lecteur trouve écho à son espoir comme à son désespoir, et qu’en lisant, il ne se sente plus seul.