Médecin pour le bien-être des âmes, le respect, la justice et la dignité des personnes

Mariée depuis trente ans avec un Québécois, vingt-sept ans de vie désormais au Québec. Celia Rojas-Viger, médecin omnipraticien, est diplômée de la Faculté de médecine de Lima (Pérou) mais encore titulaire d’une maîtrise en santé communautaire (1995) de l’Université de Montréal, après avoir en 1979 et 1980 fait son internat rotatoire à l’Hôpital Notre-Dame. Elle poursuit actuellement la rédaction d’une thèse en vue de l’obtention d’un doctorat en anthropologie de l’Université de Montréal. Chercheure inlassable, femme de terrain qui travaille et produit de nombreux et remarquables écrits, articles scientifiques et rapports de recherche pour les publications les plus réputées dans les domaines de la santé, de l’intervention clinique, des sciences sociales et des pratiques relatives à la place des femmes dans la société et aux relations interculturelles : Celia Rojas-Viger est une personne exceptionnelle.

Combattante intelligente pour les droits fondamentaux des êtres les plus fragiles, elle consacre toute son énergie à l’éradication des injustices : Ma motivation pour mes multiples engagements se forge au sein de ma famille au Pérou. Et sa racine principale est que tout être humain sans distinction ait une place pour vivre avec respect, dignité et justice où qu’il se trouve. Donc, par réciprocité et à son tour, la personne a le devoir de participer activement pour que ces principes soient respectés. Cela m’a amenée, depuis ma jeunesse, à être sensible et à combattre l’injustice sous toutes ses formes : ségrégation, discrimination, marginalisation, exclusion, racisme… C’est ce qu’on appelle de la violence sociétale, comme je l’ai vécue dans mon pays d’origine, soumis aux séquelles de la Conquête, des dictatures militaires, de la répression, du trafic de drogues et de la pauvreté extrême. Cela m’a conduite, pour la combattre, à intervenir activement dans des programmes d’éducation, d’organisation et de participation auprès des gens des secteurs populaires.

Au niveau le plus élevé, dans les lieux où se décident les principales orientations qui sont proposées aux instances qui ont la responsabilité de préparer l’avenir de nos sociétés, madame Celia Rojas-Viger est réaliste, déterminée à opérer les changements nécessaires qui feront en sorte que nous ne vivrons plus au cœur des contradictions qui existent chez nous entre les principes, les grandes chartes politiques et la triste réalité de la discrimination au quotidien. Son parcours est éloquent : En arrivant au Canada, au Québec et plus précisément à Montréal, très rapidement je me suis rendu compte que je recevais un traitement différentiel parce que j’étais immigrante, comme si j’étais une personne de deuxième ordre. De plus, ce constat devenait chaque jour plus clair que c’était une attitude répandue à l’égard des gens venus d’ailleurs, et dont la base était des stéréotypes construits et nommés «race», «ethnie», «origine». Concrètement, cela s’est traduit pour moi, femme possédant une formation universitaire, avec un diplôme de médecin et une expertise professionnelle, par la non-reconnaissance de mes compétences ni par l’Immigration, ni par l’Université, ni par le Collège des Médecins du Québec. De plus, le fait de parler le français avec un fort accent m’a exposée à plusieurs entraves. Celles-ci ont exigé de moi et m’ont poussée à me dépasser pour trouver comment apprendre le français, pour me recycler dans les études, chercher et dénicher un lieu de travail qui respecte mes aspirations. Enfin, tout cela m’a stimulée à faire partie de groupes d’immigrants et d’organismes communautaires afin de créer des stratégies pour qu’un bon jour les autorités compétentes posent des gestes qui permettent que toute personne soit reconnue à part entière, comme le discours politique le souligne déjà :

« La Loi sur le multiculturalisme du Canada veut abattre les barrières de la discrimination et de l’ignorance, qui font obstacle à l’acceptation et au respect; elle veut faire en sorte que nos grandes institutions nationales – notre système policier et judiciaire, notre système d’éducation, nos services de santé et nos services sociaux, et, au plus haut niveau, notre gouvernement lui-même – tablent sur les talents et les capacités de tous les citoyens et soient un instrument de changement positif dans notre société. »

(Santé Canada (2001) Comme la culture déterminant de la santé. Pour une compréhension commune : une clarification des concepts-clés de la santé de la population. In : www.hc-sc.gc.ca, Canada. p. 2. )

Après quasi trente années ici et malgré le travail ardu dans plusieurs organismes, ma motivation persiste toujours de vaincre les difficultés qui existent encore, par exemple dans les institutions universitaires et de recherche, dans le but d’ouvrir des places de travail pour les chercheures d’origines diverses. Cela me stimule à exceller dans les études universitaires afin d’être mieux préparée lorsqu’un poste de travail s’offrira à moi.

Active et d’une fécondité intellectuelle, d’une productivité académique et sociale rare, Celia Rojas-Viger a un palmarès de tout premier plan dans de nombreux domaines : Mes réalisations les plus significatives gravitent autour de pratiques qui cherchent la justice sociale et cela me permet de participer activement avec les secteurs populaires de Lima, Pérou. Une fois à Montréal, je participe à différents événements :

Création du Comité de Solidarité Pérou-Canada, en 1978.

Participation aux services de santé dans le secteur populaire à Montréal à travers les Cliniques populaires de santé, entre les années 1977-1980.

Consolidation des groupes communautaires de femmes immigrantes latino-américaines qui conduit, entre autres, à la création de la Maison d’hébergement Flora Tristan pour répondre aux besoins des femmes victimes de violence.

Installation et développement de la section de Médecine communautaire au Département de Médecine sociale et préventive de la Faculté de Médecine, à l’Université nationale majeure de San Marcos, à Lima, Pérou, en 1984, pendant mon engagement dans la Coopération internationale et à partir de ma fonction de professeure universitaire.

Lutte soutenue, appuyée par le Mouvement Action-Chômage, entre 1988 et 1994, pour que mes années d’activités réalisées dans le cadre de la coopération internationale soient reconnues comme celles d’une travailleuse et me donnent alors droit à recevoir l’assurance chômage de retour au pays, ce qui a été gagné et qui a créé une jurisprudence et dont peuvent maintenant bénéficier toutes les canadiennes et les canadiens, coopérants de retour.

Reconnaissance des acquis des Médecins diplômés hors Canada et participation, comme responsable à la recherche, dans la production d’un rapport qui a été remis, en août 1994, à M. Jean Rochon, alors ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, pour souligner les problèmes de discrimination, de marginalisation et d’exclusion des médecins diplômés hors Canada réunis en association et suggérer des pistes de solution afin de les incorporer à la pratique médicale dans la société québécoise.

Participation, depuis 1994, à la consolidation de la Clinique transculturelle du Département de Psychiatrie de l’Hôpital Jean-Talon, en y travaillant, sans rémunération, comme co-thérapeute et chercheure afin d’offrir une réponse alternative à la souffrance surtout psychologique des personnes immigrantes et réfugiées.

Création et développement du Regroupement des femmes chercheures d’origines diverses, en 1999, afin de trouver des solutions à des pratiques de sélection, de discrimination, de marginalisation et d’exclusion des femmes chercheures, originaires des pays du sud, qui ont une formation et une expertise en recherche scientifique et qui, même en se recyclant sur le plan académique dans les universités québécoises, ne sont pas acceptées dans des équipes de recherche rodées ou y travaillent dans des emplois précaires et de second plan.

Un véritable projet de société est conçu par Celia Rojas-Viger pour les nouvelles générations. Elle est sereine, objective et sans complaisance. Son jugement est précis, documenté en ce qui concerne les relations entre la majorité et nos différentes communautés d’appartenance : Les sociétés canadienne et québécoise, composées d’autochtones, ici depuis longtemps, et d’immigrants, venus de partout par vagues successives, continuent à s’enrichir démographiquement, économiquement et socio-culturellement par leur présence et leur participation acharnée à améliorer la vie sociétale. La reconnaissance de leur contribution doit passer du discours à la pratique, surtout pour que tous possèdent les conditions de matérialité et d’intégration capables de faire de ce pays un véritable lieu d’ancrage et d’appartenance à part entière, pour toutes ces personnes admises. À l’instar des institutions, cette possibilité est hypothéquée car on persiste à produire et reproduire des pratiques de discrimination en érigeant des frontières, certes subtiles mais combien réelles, entre les membres du groupe majoritaire et ceux des groupes minoritaires, et en accordant des avantages et des privilèges aux uns tout en les refusant aux autres.

Je pense que moi, je dois persister à être vigilante et continuer à réaliser un travail concerté et en collaboration avec les gens « de souche » pour créer des lieux où l’on puisse penser et vivre ensemble en continuant à bâtir une société juste. Collectivement, majorité et minorités, nous pouvons questionner les enjeux sociaux des politiques d’immigration, des phénomènes liés à l’immigration et à l’éducation, incluant les universités et les institutions de travail, qui sont encore centrés sur un universalisme aveugle qui ne prend pas en compte la présence des gens des autres cultures, qui ont des manières différentes d’être et de penser. Le but est de mettre au point certaines mesures qui permettent l’émergence d’une éducation accessible et adéquate aux gens d’origines diverses ; qui leur permettent aussi d’atteindre le lieu qui leur revient dans le secteur du travail, en incluant celui de la recherche. En conséquence, tous pourront prendre leur place, au même titre que tous les autres, dans le monde pluriethnique actuel du Québec et dans le projet d’un Québec ouvert aux « autres manières de penser et d’agir ». Cette attitude et des pratiques conséquentes peuvent servir à concevoir et à vivre la diversité et la solidarité dans une société «transculturelle» qui reconnaisse et fasse la promotion du métissage socio-culturel avec l’apport des solidarités déjà en marche mais encore très marginales. Je souhaite qu’ensemble, minorités et majorité, arrivions à combattre la ségrégation, la discrimination, la marginalisation, l’exclusion et le racisme. Nous, les immigrants, nous sommes déjà ici et nous participons comme de vrais « combattants » pour bâtir une société centrée sur la solidarité, la réciprocité et la justice sociale.